Le deuil, un cadeau de la vie 

Nous sommes en train de vivre une période de crise inhabituelle car elle touche notre santé et concerne toute l'humanité simultanément. Les mesures que nous avons choisi de prendre pour y faire face impactent nos déplacements, nos façons de travailler, nos relations familiales et sociales.  Bref, cette situation vient confronter nos habitudes, nos modèles de société et nos systèmes de croyance. 

Nous vous proposons ce dossier, sur un thème qui fait écho à nos réactions face à cette crise.

Vous le verrez, il y a plus de matière que d'habitude, à lire par petits bouts peut-être, en lien d'ailleurs avec le sujet qui s'intègre à son rythme. Nous vous partagerons aussi ce dossier par tranches via Facebook et LinkedIn.

Pour beaucoup d'entre nous, c'est la première fois que nous vivons un tel changement dans nos habitudes. Et nous ne réagissons pas tous de la même manière face aux nouvelles que nous recevons. Certains sont inquiets ou en colère, d'autres tristes, les uns trouvent que c'est exagéré, que la situation n'est pas si grave que cela, et il y en a même qui y voient des opportunités pour la suite. En fait le processus de deuil, dans ces moments si complexes, peut nous aider à éclairer certaines de nos réactions.

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Un processus de cicatrisation émotionnelle

Lorsque nous nous blessons physiquement, notre corps réagit et se répare tout seul. Pour les blessures psychologiques, c'est pareil. Un événement extérieur se produit, génère une blessure et le processus de cicatrisation psychologique - le deuil- s'enclenche. Et comme pour les blessures physiques, il peut être plus ou moins long, plus ou moins facile, et nécessiter plus ou moins de repos de notre part. Parfois une aide extérieure est aussi précieuse pour aller jusqu'à la guérison.

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Mais au fait, c'est quoi, une blessure psychologique?

La blessure psychologique survient lorsque nous sommes confrontés à une situation qui dépasse nos ressources du moment. Cela peut être quelque chose qui ne se passe pas comme nous l'avions prévu, un besoin qui n'a pas été satisfait au point de mettre notre santé en jeu, ou un événement brutal qui impacte fortement notre vie. Ces situations viennent confronter nos habitudes, frustrer nos besoins ou nos envies, voire même remettre en cause nos comportements, notre représentation du monde ou notre système de croyances. 

Ainsi, un même événement peut générer des blessures différentes chez une même personne et n'impactera pas deux personnes de la même manière. Si nous reprenons l'analogie avec les blessures physiques, par exemple, dans un accident de voiture, il se peut qu'une personne ait une simple bosse au front, une autre a une jambe cassée et la troisième le poignet foulé et une luxation du genou. Les 3 personnes ne guériront pas au même rythme et n'auront pas besoin du même soutien.

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Un processus en 7 étapes

Vous l'aurez compris, chacun fait son deuil à son rythme et à sa manière. Chaque cas est unique. Cependant, nous pouvons quand même modéliser le processus selon 7 étapes, qui seront plus ou moins vécues, avec une intensité variable, selon les individus. Chacune de ces étapes est saine et utile, et elles se font dans l'ordre où nous vous les décrivons ci-dessous. Cependant, pour les blessures plus profondes, plus complexes ou multiples, il se peut que nous ayons l'impression de passer quelques étapes, puis de revenir en arrière, d'en sauter quelques-unes. C'est probablement qu'il y a plusieurs blessures qui cicatrisent en parallèle. Il sera alors utile d'identifier les blessures qui sont en jeu pour accompagner le processus de manière plus adaptée. 

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Etape 1 : Le déni

C'est le refus de la réalité, de la situation. Le "ce n'est pas possible". La personne n'y croit pas. Par exemple, nous partons au travail le matin, et, en arrivant au travail, nous nous rendons compte que nous avons oublié notre téléphone. Nous regardons dans notre sac, il n'y est pas. Nous cherchons dans notre blouson, dans la voiture, refouillons dans notre sac, en pensant "ce n'est pas possible, il est forcément là !". C'est la phase de déni. Elle sert à atténuer le choc, qui ne serait pas gérable sans cela. Pour un événement un peu plus conséquent, par exemple (au hasard !) l'annonce d'une pandémie de COVID-19 et des mesures à appliquer pour y faire face, le déni peut prendre plusieurs formes, de "non ce n'est pas possible, c'est du bluff, d'ailleurs, je ne connais personne de malade", à "bof, ce n'est pas plus grave que la grippe", à "bon, allez, un petit effort et dans 15 jours, tout redeviendra comme avant". Dans cette étape, la personne ne se rend pas compte qu'elle a une blessure, ce qui la protège d'un choc trop fort. Il est donc utile de nous rappeler les faits avec douceur et bienveillance, en respectant notre rythme.

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Etape 2: La colère

Ici, nous commençons à percevoir la situation telle qu'elle est...et ça ne nous va pas du tout ! Arrive alors la colère. Si nous reprenons l'exemple de notre téléphone, cela donne : "j'en ai marre, ça fait la troisième fois que je l'oublie, et puis c'est pas possible de vivre dans une société où sous sommes esclaves de ces trucs-là, et puis je suis sûr que c'est encore un coup de ma fille qui ne l'a pas remis à sa place après avoir joué avec..." Bien évidemment, le raisonnement dans la phase de colère n'est pas forcément très lucide (ni très poli d'ailleurs !). Pour le COVID-19, cela peut être "c'est une honte qu'il manque des masques, ils auraient pu commencer le confinement plus tôt ! De toute façon, nous sommes gouvernés par des incompétents, et puis à force de foutre en l'air la planète (les autres, bien sûr), forcément ça devait bien nous revenir dans la gueule à un moment donné!".

Dans cette phase là, l'idée est, dans un premier temps, de dépasser ce réflexe que nous avons de chercher des coupables et de râler, de cesser d'en vouloir au monde entier. Soyons attentifs à ce que nous ressentons vraiment pour aller un pas plus loin : identifier ce qui ne nous va pas dans la situation et ce que nous pouvons faire pour qu'elle nous convienne mieux. Il s'agit de nous mettre en action pour changer ce qui peut être changé, pour laisser de côté ce qui ne sert à rien ou n'est pas bon pour nous.

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Etape 3 : La peur

L'étape d'après, c'est la peur. Le moment où nous nous demandons ce que nous allons devenir. Pour notre téléphone, cela donne "mais comment je vais faire pour m'en sortir sans téléphone ? et s'il arrive un problème et que je ne suis pas joignable, comment ils vont s'en sortir ? ". La peur va nous servir à identifier les dangers potentiels, les risques auxquels nous allons être confrontés. Dans l'exemple du COVID-19, cela peut donner " Comment on va faire pour continuer à travailler ? Qui va s'occuper des enfants ? Et si je l’attrape qu'est-ce qui va se passer ? Comment je vais arriver à tout gérer ?"

Ici, le danger peut être exagéré, en particulier si nous sommes stimulés par des messages excessifs, partiels ou incohérents. Nous pouvons alors réagir en dévalisant les pharmacies ou les commerces alimentaires ou de manière plus adaptée en respectant les consignes de confinement, malgré notre forte tendance rebelle. Pour nous aider dans cette phase, il est très utile de revenir aux faits, à ce que nous pouvons observer, avec recul et lucidité, et à notre ressenti, chemin du bon sens. Nous pouvons alors mobiliser nos ressources, matérielles, intellectuelles et émotionnelles, pour mettre des protections adaptées et continuer notre cheminement. 

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Etape 4 : Le marchandage

Vient alors la phase de marchandage. Durant cette phase, nous allons faire un peu comme si l'événement n'avait pas vraiment d'impact sur nous. C'est une façon de négocier avec la réalité, d'en retarder les conséquences. Dans le cas de notre téléphone, ça peut être "bon je vais emprunter le téléphone de ma collègue, donner son numéro à mes contacts, comme ça ils pourront m'appeler comme d'habitude". Face au COVID-19, nous pouvons faire des choses comme continuer à organiser plein de visioconférences et faire comme si cela ne changeait rien aux résultats attendus. Aller à la plage, dans les jardins publics pendant des heures car cela ne pose pas de problème. Ou se voir entre amis, jeunes, car les jeunes ne sont pas vraiment à risque.

Marchander nous sert à prendre le temps d'intégrer l'ampleur des conséquences de ce qui a changé. Cela nous permet de commencer à nous mettre en mouvement, de continuer à cheminer vers l'acceptation. Et il est préférable que le marchandage ne dure pas trop longtemps, sinon, cela pourrait aggraver la situation.

C'est l'étape où nous recommençons à agir, certes en conservant de vieux schémas que nous aurons à lâcher, mais cela nous permet de réaliser que c'est possible de continuer à fonctionner différemment. C'est comme lorsque nous utilisons des béquilles lors d'une blessure à la jambe. Cela nous permet de continuer à nous déplacer alors que nous ne sommes pas encore prêts à poser le pied par terre. Cependant, nous avons à faire attention avec nos béquilles nous pouvons nous faire très mal, nous blesser encore plus que nous ne le sommes déjà, ce n'est pas comme avant. Il s'agit donc ici de prendre conscience que nous en sommes au marchandage et que c'est temporaire. Nous ne sommes pas guéris, et un jour, lorsque nous le serons, nous aurons à lâcher nos béquilles si nous voulons aller plus loin et mobiliser tout notre potentiel.

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Etape 5 : La tristesse

Nous arrivons maintenant à l'étape de tristesse, qui sert à accepter ce que nous ne pouvons pas changer. 

La tristesse est l'expression spontanée du manque de ce qui n’est plus. En étant triste, nous partageons ce qui nous fait mal et en même temps les larmes nous permettent de cicatriser et petit à petit d'être disponibles pour autre chose. C'est une étape cruciale du processus, et pourtant, il ne se passe pas grand-chose au niveau du mental ou de l'action, c'est vraiment au niveau du ressenti. Dans l'exemple de notre téléphone, nous pourrions sentir de la tristesse parce que nous sentons moins de lien avec les personnes qui nous sont chères. Face à la crise actuelle, nous pouvons ressentir la tristesse parce que nous avons annulé des projets, perdu de l'argent, voire même fait un lien avec l’état  de notre planète,...  Durant la phase de tristesse, notre niveau d'énergie baisse, nous évacuons la tension émotionnelle dont nous n'avons plus besoin. Ce n'est donc absolument pas le moment de faire de grands projets, de voir loin, ou de "se mettre un coup de pied aux fesses pour avancer" comme nous l'entendons souvent. C'est plutôt avoir de la douceur, nous "cocooner". Nous entourer de nos proches et partager notre tristesse nous fait donc avancer. C'est grâce à la tristesse et au fait que nous sommes touchés dans notre cœur que nous allons pouvoir passer à autre chose.

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Etape 6 : L'acceptation

Après l’expression de la tristesse vient l’acceptation qui fait que nous sommes tout à fait disponibles pour autre chose. Quand nous avons accepté véritablement les conséquences de ce qui nous arrive, nous retrouvons de l'énergie, nous nous rendons compte que finalement notre vie continue. La blessure est cicatrisée mais pas encore consolidée, nous pouvons commencer la rééducation. C'est une sorte de basculement à l'issue duquel le sentiment dominant pourra être la joie. Dans l'exemple de notre téléphone, c'est la phase où nous nous disons "Bon, ok, je l'ai oublié, ce n'est pas si grave. Ce n'est qu'une journée, et je vais pouvoir expérimenter une journée différente des autres". Pour la crise actuelle, cela peut donner "bon ok, nous allons rester confinés un moment, nous ne savons pas combien de temps, et ça sera un expérience apprenante même si elle sera très forte". 

Dans cette phase, nous pouvons recommencer à fonctionner en contactant notre potentiel, et en mettant en œuvre de nouvelles façons de fonctionner. Il nous est alors très utile de valider nos avancée et nos progrès, de voir les succès que nous avons obtenus sur le chemin. Et nous avons alors l'énergie d'entreprendre des projets qui ont du sens pour nous dans le nouveau contexte. 

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Etape 7 : La réconciliation

Alors, nous découvrons les cadeaux apportés par ce changement qui nous a bouleversé. C'est la phase de réconciliation. C'est prendre la mesure de ce qui n’aurait pas été possible si ce changement n’avait pas eu lieu. Dans l'exemple de notre téléphone, cela peut être "c'est chouette cette journée où je ne suis pas constamment interrompu par mon téléphone, j'ai pu avancer sur ces dossiers tranquillement, j'ai plus discuté avec les personnes qui m'entourent, et je me sentais vraiment présente à ce que je faisais. Peut-être que je vais l'éteindre plus souvent"... Un os qui a été cassé et a bien cicatrisé devient plus solide à l'endroit de la fracture. Pour notre psychisme c'est pareil. Nous développons nos ressources et notre potentiel au fur et à mesure des deuils que nous traversons.

Dans la phase de réconciliation, l'émotion qui domine, c'est la joie. Nous ressentons aussi de la gratitude, et cheminons dans le pardon. 

Dans le vécu du confinement, cela peut être "quel plaisir de passer du temps à la maison, d'apprendre à mieux connaître mes enfants et mon conjoint, d'être témoin de la solidarité humaine. J'ai enfin pu faire telle activité que je n'avais jamais eu le temps de faire, et qu'est-ce que ça fait du bien !" Nous avons alors à célébrer ces cadeaux, à les mettre en œuvre dans nos nouveaux projets et à ressentir une forme de sérénité retrouvée.

Bien entendu, au tout début du deuil, nous ne sommes absolument pas en mesure de voir les cadeaux. Cependant, il se peut que nous en ayons assez tôt l'intuition ou l'espoir : "Et si cette crise du COVID-19 était l'occasion de construire un mode de vie plus respectueux des êtres vivants et de la terre?". Mais c'est lorsque nous serons dans nos nouveaux projets, que nous aurons œuvré dans ce sens, que nous pourrons vraiment percevoir cette réconciliation et les cadeaux associés.

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Voilà donc tout un chemin qui est aussi une opportunité de construire quelque chose de nouveau, de revoir nos choix de vie avec bienveillance pour les valider ou les changer de façon libre et responsable. Et pour y parvenir, nous avons juste à nous laisser vivre ce processus et à prendre soin de nous. 

Nous espérons donc que cet éclairage vous sera utile pour vivre ce qui est bon pour vous dans ce temps si particulier, et restons à votre écoute.

 A bientôt !